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Avant de faire le bilan de quoique ce soit, il me semble approprié de prendre un peu de recul.
C’est ce que j’ai fait dans les dernières semaines. Je ne vis plus dans ma camionnette. Je l’ai remisé dans le driveway d’un ami campagnard. Merci Louis!
Bilan financier
Après 2 mois dans ma camionnette à Montréal, je fais un bilan financier positif de l’expérience.
Économies mensuelles faites :
400$ pour une chambre dans une coloc
20$ d’éclectricité
20$ d’internet
10$ de produits nettoyants, PQ, sac à ordures et autres commodités que les vansters n’achètent évidemment pas
Dépenses supplémentaires faites :
120$ de cafés (pour la connexion Internet, la table et la prise de courant)
100$ de restos supplémentaires
La balance est positive : +230$ par mois!
Ce qui est difficile à quantifier, c’est aussi les économies que j’ai faites parce que je n’ai rien acheté de superflu durant ces 2 mois. Quand on vit dans 7.5 mètres cube, on n’est pas tenté d’amasser des cochonneries.
Habituellement non plus, je ne suis pas un magasineu. Mais je me laisse quand même tenter par un vynil ou un livre occasionnel. J’ai peut-être sauvé une cinquantaine de dollars en n’achetant pas ce genre de choses dont on n’a pas besoin lorsqu’on est occupé à cuisiner sur un four de camping.
Combien le nord-américain moyen sauverait-il par mois s’il se passait des cossins qu’il s’achète habituellement pour se désennuyer (vêtements, gadgets électroniques, nouveaux rideaux, porte-serviette chauffant, plus de vêtements, etc, etc, etc…)? Je ne sais pas. Je me tiens loin des nords-américains moyens… Mais ça doit être un chiffre impressionnant.
Un autre bilan très difficile à quantifier. Je parle ici de l’influence que ma simplicité volontaire extrême a eu sur ma productivité. Rappelez-vous : je suis un artiste et un travailleur autonome. Je dois gagner pratiquement et réellement chacun de mes sous. Si je mange quelque chose, c’est parce que j’ai réussi à faire quelque chose qui a produit ce que cette bouchée a couté. Pas de salaire garanti. Pas de convention collective. Pas d’heures de lunch entre 11h00 et 14h00 et pas de Facebook au bureau…
Il était donc capital que mon vansterisme ne m’empêche pas de travailler et ne nuise pas à ma productivité.
Alors, oui, j’ai perdu du temps à courir après des connexions Internet. Oui, j’ai probablement travaillé un peu moins d’heures parce que se laver à la piscine municipale et cuisiner dans des terrains-vagues prend plus de temps que de faire les mêmes choses dans le confort privé de la maison.
Mais, la réduction totale des distractions liées à ce confort m’a rendu ultra-productif. J’avais l’esprit clair et aiguisé. J’ai l’impression d’avoir été en mode « chasse » pendant 2 mois et je crois sincèrement que ça m’a donné une concentration et une motivation qui m’ont rendu très efficace.
En plus, sans divan, sans télé et sans cuisine où végéter, je n’avais rien d’autre à faire que de prendre un café de plus en travaillant jusqu’à ce que je cogne des clous devant mon ordi. Là, j’étais prêt pour la van où il n’y a rien d’autre à faire que de lire un peu avant de s’endormir. J’ai vraiment travaillé fort pendant mon vansterisme, en plus d’écrire tout ça…
La vie après le vansterisme
Je vis maintenant à Berlin.
Ici, il y a tout une communauté de squatters, de gentlebums, de vansters et d’urbains alternatifs en tous genres. J’ai vu les squats de quelques villes. Londres, Paris, Toronto, San Francisco… Rien n’est comparable à Berlin.
Les logeurs opportunistes d’ici sont éduqués, ultra-cultivés, idéalistes et superbement organisés. Ils sont en si grand nombre et ont une culture si bien définie qu’on ne peut plus penser à une mode ou à une simple communauté. C’est un peuple… ou presque.
Chaque squat organise des repas communautaires, des ateliers de réparations de bicyclettes, des spectacles et des cours. À Kopi, il y a même un mûr d’escalade intérieur et une salle de danse avec miroirs! À Skokolade, la scène accueille des musiciens hors-pairs sans arrêt. À Tipi-Land, un terrain de camping accueille les voyageurs temporaires qui, après s’être présentés à l’assemblée hebdomadaire, peuvent faire une demande de logement permanent. Les élus pourront bénéficier de l’aide de la communauté pour bâtir leur propre tipi et ajouter un bâtiment de plus à ce petit village spontané. Son design intéligent ferait rougir nos stupides dessinateurs de Boulevards Taschereau.
Le Wagon-platz est un squat de camionnettes. La proximité d’un autre squat qui fournit l’eau et des toilettes facilite la vie aux dizaines de vansters qui revitalisent à leur façon ce triste bout de rue de Berlin-Est.
Qu’est ce que le autorités en disent? Pas grand chose. Je crois que les Allemands sont trop occupés à faire vivre le reste de l’Europe pour s’emmerder à harceler les paisibles marginaux qui donnent sa couleur à Berlin. Récemment le maire de la ville a fièrement fait cette déclaration : « Berlin is poor, but sexy… ». En effet, Berlin a échappé au baby-boom des années ’50 parce que tous les hommes sont morts à la guerre. Il a fallu attendre 20 années après la guerre pour que le baby-boom du siècle ait lieu chez les Allemands. Donc, ici, les baby-boomers ont 40 ans, au lieu de 60. Ça fait vraiment du bien de se retrouver dans une société qui donne le feeling d’être moins vieille, fatiguée, irritée par la jeunesse, et enlignée vers l’effouèrage de la retraite. Montréal ne me manque pas trop…
À Berlin, je ne vis pas dans les squats. J’y vais souvent pour manger (repas complet à volonté : 1,50€), prendre une bière (1€!), ou voir des couchers de soleil sur le toit d’une usine abandonnée (gratuit). Mais maintena, je vis dans un appartement.
Je travaille présentement à un projet très demandant d’autodiffusion et de création artistique. Je sentais que j’avais besoin d’un mode de vie moins prenant, d’une connexion Internet stable et d’une table à moi.
En attendant les revenus modestes de mon projet berlinois, je gagne assez de sous pour vivre en faisant des performances de rue. « Tu aimes mon show? Alors donne-moi 2 euros et n’emmerdons pas le Conseil des Arts ». J’adore!
Malheureusement, à Montréal, la performance de rue de haute-qualité est découragée par une bureaucratie ridicule de permis par ancienneté, donc inaccessibles aux jeunes. J’ai dû m’exiler, encore une fois, pour vivre cette expérience de micro-entreprenariat artistique. À Berlin, où personne n’a de temps à perdre à gérer des permis d’amuseurs publics, j’ai rencontré des diplômés de l’École Nationale de Cirque de Montréal. Ils offraient un excellent spectacle acrobatique sur Alexander Platz. Rien à voir avec les vieilles banalités fatiguées de la Place Jacques-Cartier… Encore de jeunes et ambitieux exilés du « red tape » montréalais.
Mon appartement berlinois est un 2 et demi de Prenzlauer Berg. J’y vis avec 4 de mes collègues. Oui, 5 dans un 2 et demi. Pourquoi pas? Nous partageons une grande chambre et apprécions beaucoup ce mode de vie qui fait penser à celui des moines. Le confort est minimal, nous dormons aux mêmes heures, nous travaillons toujours, nous nous vouons à un idéal… et… nous apprécions la bonne bière! Sans télé, sans distraction et sans l’amollissement du confort, nous sommes ultra-efficaces et concentrés.
Je suis arrivé à l’appartement 2 jours avant mes compagnons. Après quelques mois de vansterisme à Montréal et quelques semaines de couch-surfing à Berlin, me retrouver seul dans un bel appartement tout propre me fut un choc. Ma première nuit dans un lit à moi avec des draps frais a été une bénédiction. J’ai mordu dans une toast au beurre de pinottes (pas une simple tartine froide!!!) avec un plaisir presque divin. Les longues douches n’importe quand… La connexion Internet stable et mon ordinateur sur une table où je peux éparpiller mes disques durs et mes documents… Joie! L’intimité, la solitude, un lieu où je peux baisser la garde… C’est merveilleux!
J’ai l’impression de faire quelque chose de logique en retrouvant un logis plus normal. Malgré la continuation de ma modestie, j’apprécie le retour au « luxe ». Comme mon père me le disait dans ses critiques bien compréhensibles de cette série: j’ai la chance d’être né dans un pays riche, c’est ridicule de ne pas en profiter.
Mon père a un peu raison. Je suis sûr que les gens beaucoup plus pauvres que j’ai rencontrés dans le tiers-monde seraient aussi de son avis. Tant qu’à ne rien réellement faire pour trouver une solution, pourquoi ne pas faire comme tout le monde et jouir du problème?
En plus, quand le problème va vraiment nous pêter dans la face, moi, au moins, je serai expérimenté dans l’art du bonheur productif avec peu de moyens!
Mes collègues et moi avons transformé notre appartement de Berlin en un dortoir et en un bureau de production. L’appartement n’a donc pas de divan. Ça, ça me manque toujours.
Mais les divans, c’est pour les lopettes. J’ai beaucoup trop à faire pour m’écraser