Ontario: rue piétonne (juillet 2015)

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On a eu une maudite belle vente trottoir, y’a quelques semaines ! Faudrait changer le nom : le carnaval d’Hochelaga! Il y avait des gens qui faisait de la corde à danser dans la rue, des enfants qui chantaient, des lutteurs enfin glorieusement sortis de leurs sous-sols d’église et des artistes internationaux qui ont fait leur show dans leur quartier pour la première fois. Et, du magasinage en plein-air, aussi… faut pas oublier… Ce fut un merveilleux quatre jours de bonheur sans chars.ontario sans char

Une idée était sur toutes les lèvres : pourquoi ce n’est pas toujours comme ça ? La rue Ontario, c’est plus qu’une rue. Elle est organiquement devenue notre grande place publique. Pourquoi en réserver les trois quarts aux automobilistes ? L’auto n’est-elle pas un des grands problèmes de nos villes ? Pourquoi lui laisser une place de roi ?

Pour trouver des réponses, je suis allé rencontrer 2 personnes qui ont participé à l’organisation de la vente trottoir.

ph_donald_bigL’opinion du directeur de Promenades Hochelaga-Maisonneuve : Donald Guy

Donald Guy m’a accueilli dans les bureaux de cette société de développement commercial, en haut de la SAQ. Il m’a expliqué ce qu’est une SDC : les commerçants se cotisent et s’efforcent de dynamiser le commerce local avec toutes sortes d’initiatives. Au départ, c’était pour que les petits survivent à l’arrivée de monstres commerciaux comme la Place Versailles (et son stationnement).

Pour la vente trottoir, la SDC fait temporairement tomber l’interdiction des étals en extérieur. Ils font piétonniser la rue. Et, surtout, ils organisent l’animation. La SDC et une entreprise d’économie sociale qui est en fait son prolongement (la Corporation d’Animation des Places Publiques) ont investi environ 50,000.00$ dans l’animation des 4 superbes journées que nous avons vécues. Sans cette animation, selon M. Guy, la piétonnisation ne fonctionnerait pas : la rue perdrait sa capacité à bien desservir les gens magasinant en auto mais ne gagnerait rien.

M. Guy m’a dit que cette fête piétonne spéciale ne pourrait donc pas continuer toute l’année. Selon lui, une piétonnisation plus longue, comme celle du village gai, attirerait des restaurants et un « nightlife » jugé indésirable par plusieurs. Mais, elle tuerait la diversité des commerces. Malgré le fait qu’il me raconte faire lui-même son épicerie à pieds, il semble convaincu qu’une partie de la clientèle de nombreux commerces irait magasiner ailleurs, si Ontario était piétonne. Il m’a parlé de la différence entre le commerce de produits « dûrs » et le commerce de styles de vie, qui s’implante doucement sur Ontario. Moi, j’avais juste en tête la différence entre les amateurs de chars qui aiment le gros magasinage et les hipsters en fixie qui aiment faire de l’infographie sur leur Mac en buvant un café bio sur une terrasse locale… Mais, je me suis tu parce qu’il a probablement raison lorsqu’il dit que le commerce de « dûr » souffrirait d’une piétonnisation de Ontario. M. Guy a peur que les résidents d’Hochelaga perdent ainsi une partie des commerces auxquels ils sont attachés.

pierre-lessard-blais1L’opinion d’un commerçant: Pierre-Lessard Blais

Un des propriétaires du bar L’Espace Public est aussi le président de cette association de commerçants. Vous vous souvenez peut-être aussi de lui comme candidat à la mairie de l’arrondissement en 2013.

Je l’ai rencontré devant une pinte, à son bar. Je suis loin d’être dépaysé… J’ai commencé en lui parlant du grand bonheur qui avait déferlé sur Ontario pendant la courte piétonnisation de la vente trottoir. À part la fin de la soirée du jeudi (j’exagère un peu…), il s’en souvenait bien. Je lui ai demandé directement pourquoi on ne piétonnisait pas toujours, vu que ça marche aussi bien.

Pierre campe sa priorité, comme président de la SDC: la diversité commerciale. Comme l’autre… Oui, beaucoup de gens du quartier aimeraient une rue piétonne. Mais, beaucoup de commerçants ont peur de perdre de la clientèle si les gens ne peuvent plus parker devant leur magasin. Il me nomme quelques boutiques de linge, la quincaillerie, la banque, le supermarché… Ces commerces locaux sont parfois modestes et fragiles…

Il me raconte que quand le maire Ménard a annoncé une piétonnisation d’une petite partie de la rue Ontario pendant 12 semaines, cet été, ces commerçants ont eu une levé de boucliers. Le projet a été annulé. Pierre dit qu’il préfère l’approche qui sera plutôt prise dans les prochains mois: au delà des 2 ventes trottoir, la rue sera piétonne pendant quelques jours de plus, encore seulement devant la Place Valois. Ça permettra d’étudier les impacts et de planifier le futur.

Je lui pose alors ma grande question de la fin. « OK, mettons que ce test prouvait que le magasin de linge et la banque perdent des revenus quand on bloque la rue… Ça pourrait peut-être quand même valoir la peine d’appauvrir un peu notre vie commerciale, si ça permet à tout le monde d’avoir une grande place publique organique où les amis peuvent se rencontrer, où les enfants peuvent jouer et où les choses sont plus humaines et agréable. Non ? Même si quelques commerçants en arracheraient un peu, ce bonheur des résidents en vaudrait peut-être la peine, non ?

L’assurance du président-commerçant-politicien s’effrite alors un peu J’ai l’impression de retrouver le père de famille de la rue Lafontaine que je croise toujours devant la Pataterie. Pierre devient un peu rêveur en regardant les gens qui chillent au soleil devant la vitrine… « C’est une maudite bonne question, ça… je vais y réfléchir. »